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Magnus Carlsen, lanceur d'alerte contre la triche dans les échecs

Magnus Carlsen, le quintuple champion du monde d'échecs, met son sport en émoi en dénonçant les agissements d'un adversaire, Hans Niemann, qu'il accuse de tricher.
Après trois semaines de sous-entendus, Magnus Carlsen est sorti de son silence pour accuser Hans Niemann de tricherie. (E. Rosen/FIDE)


Ne dites pas à Magnus Carlsen qu'il a joué comme une machine pour remporter dimanche le tournoi en ligne Julius-Baer Generation Cup, il pourrait mal le prendre. D'avis d'expert, le Norvégien a pourtant évolué à un niveau stratosphérique pour étouffer ses adversaires. Orgueilleux, sans doute le quintuple champion du monde souhaitait-il démontrer que la puissance de l'esprit humain est bien l'essence du jeu d'échecs. Car depuis début septembre, un climat de paranoïa a gagné le petit monde du roi des jeux.


Le spectre de la triche au plus haut niveau a refait surface depuis que Magnus Carlsen, 31 ans, a subitement quitté la prestigieuse Sinquefield Cup à Saint-Louis, aux États-Unis, après une défaite inattendue contre un jeune Américain de 19 ans, Hans Niemann. Un coup d'éclat jamais vu, suivi d'un tweet cryptique s'appuyant sur une vidéo meme de José Mourinho et laissant entendre qu'il savait des choses mais qu'il ne pouvait pas parler.


Stupeur sur les 64 cases redoublée quand, deux semaines plus tard, face à ce même Niemann lors d'un tournoi en ligne, le numéro 1 mondial s'est retiré de la partie après avoir joué un seul coup. Le message était clair, pas question pour Carlsen d'affronter un joueur qu'il considère être un tricheur et dont il a souligné ironiquement la progression sous la houlette de son « mentor », Maxim Dlugy, lui aussi connu pour avoir franchi plusieurs fois la ligne rouge.

« Je crois que Niemann a plus triché, et encore plus récemment, qu'il ne l'a admis publiquement », a finalement déclaré le Norvégien lundi soir, mettant fin à un silence devenu insoutenable. Il confirme ce que tous les observateurs avaient compris, divisant ainsi le monde des échecs entre ses fans qui approuvent son geste et ceux, déjà échaudés par son renoncement à défendre son titre mondial par manque de motivation, qui lui reprochent d'avoir jeté en pâture sans preuve un jeune joueur prometteur.





Pas de preuve, certes mais une intime conviction : « Ses progrès sur l'échiquier sont inhabituels et pendant notre match à la Sinquefield Cup, j'ai eu l'impression qu'il n'était pas tendu ou même pleinement concentré sur le jeu dans les moments critiques alors qu'il me surpassait avec les noirs en jouant à un niveau que seuls une poignée de joueurs peuvent atteindre ».

Pas de preuve formelle de la triche
L'accusation est grave même si Niemann, malgré son jeune âge, jouit déjà d'une réputation... sulfureuse. Comme le rappelle Carlsen, il a en effet admis avoir triché deux fois en ligne, où le phénomène est massif, alors qu'il était âgé de 12 et 16 ans, ce qui lui a valu d'être banni par la plateforme Chess.com qui a révélé au passage avoir repéré bien plus de deux parties suspectes de l'Américain.

Mais avoir triché (en ligne) ne signifie pas nécessairement que l'on trichera. Et la conviction de Carlsen, dont l'intégrité ne souffre aucun doute, ne suffit pas à constituer une preuve irréfutable qu'il ne pourra certainement jamais fournir. C'est tout le drame des échecs. À moins d'un flagrant délit d'utilisation d'un procédé qui permettrait à un joueur de communiquer avec l'extérieur, comment démontrer formellement la triche ?


« C'est impossible », répond Yosha Iglesias, une joueuse française qui a toutefois contribué au débat concernant l'affaire sur les réseaux sociaux en postant le week-end dernier une vidéo confondante. Elle y explique avoir utilisé Chessbase, la plus importante base de données sur les échecs, pour analyser des parties de Niemann lors de tournois en présentiel. Elle a ainsi mis au jour des dizaines de parties de Niemann au cours desquelles il a joué au niveau de ce qu'un ordinateur aurait joué.




Par exemple, à l'été 2021, l'Américain, pendant cinq tournois d'affilée, a joué à plus de 73 % les coups qu'un ordinateur aurait proposés. Sachant que le génie américain Bobby Fischer, à une époque où les échecs n'avaient pas encore été révolutionnés par l'apparition des machines, a été mesuré a posteriori à 72 % lorsqu'il a enchaîné ses mythiques vingt victoires de suite en 1971, sans doute la meilleure série de parties jouées par un humain en présentiel de l'histoire.

Plus fort encore, Yosha Iglesias a décelé neuf parties de Niemann où il a joué à... 100 % comme l'aurait fait un ordinateur. Statistiquement hautement improbable, pour ne pas dire impossible. Et lors de la fameuse partie de la Sinquefield Cup contre Carlsen, Niemann était à 71 %. Mais cela non plus ne saurait être considéré comme une preuve.

Oreillette indétectable, implant sous-cutané, caméra miniature, voire plug anal émetteur de signaux ?
Si on ajoute à cela l'impression laissée par le jeune Américain à plusieurs de ses adversaires malheureux, lors des analyses post-mortem où il s'est montré imprécis et fuyant, tout semble démontrer, comme en est convaincu Carlsen, que Niemann est un serial tricheur. Mais personne n'est en mesure de dire comment il procède. La technologie permet d'imaginer les moyens qui pourraient être les siens. Oreillette indétectable, implant sous-cutané, caméra miniature, voire plug anal émetteur de signaux... toutes les hypothèses, du possible au plus invraisemblable, ont été envisagées.

« Il faut bien comprendre qu'au niveau des meilleurs mondiaux, il n'est pas utile de souffler un coup à jouer. Le simple fait de signaler à un top-joueur "attention, ici c'est capital" suffirait à le rendre imbattable », explique Laurent Vérat, manager du Français Maxime Vachier-Lagrave, champion du monde de blitz.


Face au déferlement, Niemann a déclaré être prêt à jouer nu pour démontrer sa bonne foi. On ne devrait pas aller jusque-là mais sans doute faut-il que la discipline, qui se trouve « face à une menace existentielle », ainsi que l'a exprimé Carlsen, revoie ses procédures de sécurité, comme il l'appelle de ses voeux.

« Je crois que la triche dans les échecs est une affaire grave et une menace existentielle pour le jeu. »

Magnus Carlsen dans un communiqué publié ce lundi.

Au-delà des détecteurs de métaux ou de radiofréquences en place sur les grands événements, au-delà de l'éloignement du public susceptible de communiquer des informations, « il faut un durcissement des sanctions contre les tricheurs en ligne avec des exclusions de plusieurs années », estime Laurent Fressinet, Grand Maître français et secondant de Carlsen, qui doute néanmoins de la réalité de la triche « en réel » dans les tournois majeurs.

Pour autant, il préconise l'instauration systématique du décalage de diffusion d'un quart d'heure ou d'une demi-heure des parties en présentiel. Une nécessité absolue pour le streameur Kevin Bordi, alias Blitzstream qui voit « une très mauvaise pub pour les échecs. Car ça va devenir très compliqué à regarder dès lors que le doute s'est immiscé. » « Pourquoi ne pourrait-on pas instaurer des contrôles physiques devant un médecin pendant les tournois ? », poursuit-il.

Pour sa part, Yosha Iglesias propose, elle, que la Fédération internationale des échecs (FIDE), très discrète depuis que l'affaire a éclaté, s'inspire de ces entreprises et institutions qui recrutent des hackers pour lutter contre le piratage informatique et embauche immédiatement Niemann comme expert ès-triche...