Le parcours incroyable d'Emma Raducanu, gagnante de l'US Open à 18 ans
La trajectoire de la Britannique Emma Raducanu, victorieuse samedi de l'US Open à 18 ans, est à peine croyable. Même pour ceux qui ont vu grandir cette énorme travailleuse, douée d'une faculté d'apprentissage unique.
Quentin Moynet, à New York
mis à jour le 12 septembre 2021 à 21h11
En juillet, elle attendait les résultats de son A level, équivalent du bac outre-Manche, et participait au bal de promo de son lycée en tenue de soirée avec tous ses camarades de classe. Deux mois plus tard, la Britannnique Emma Raducanu est une star, suivie par 1,5 million de fans sur Instagram et félicitée par la reine d'Angleterre. « C'est un accomplissement remarquable à un si jeune âge, une preuve de votre dur labeur et de votre dévouement », écrivait Elizabeth II samedi soir, après l'une des performances les plus inattendues de l'histoire du tennis.
Jamais personne, hommes et femmes confondus, n'avait remporté un Grand Chelem en passant par les qualifications. Encore moins à 18 ans, sans perdre la moindre manche et sans avoir disputé une seule rencontre en trois sets sur le circuit principal... Qu'elle a découvert il y a trois mois à peine ! « C'est surréaliste ce qu'elle a fait, souffle Philippe Dehaes, qui a entraîné la Britannique quelques mois début 2020, avant que la pandémie ne stoppe leur collaboration. Comment imaginer qu'après avoir joué un Wimbledon et deux tournois WTA, la fille s'envoie l'US Open ? C'est complètement dingue. Quand on entre sur le Arthur-Ashe, il faut les avoir bien accrochées. Mais elle, elle arrive là, tranquille, elle met ses petites lattes, 6-4, 6-3, au suivant. On lui aurait donné dix matches de plus à jouer, elle les aurait gagnés ! Cette fille, c'est un avion de chasse. »
« J'étais très impressionné par sa capacité de concentration, son exigence et sa recherche d'excellence. Des caractéristiques de pro alors qu'elle était encore à l'école
Philippe Dehaes, son entraîneur début 2020
Abasourdi, l'entraîneur belge, qui avait auparavant travaillé avec Daria Kasatkina et Monica Puig, connaissait évidemment le « potentiel énorme » de la jeune joueuse, observé dès leurs premières séances en commun. « À l'entraînement, elle jouait déjà top 30, affirme-t-il. J'étais très impressionné par sa capacité de concentration, l'intensité qu'elle mettait, sa discipline, son exigence et sa recherche d'excellence. Des caractéristiques de pro alors qu'elle était encore à l'école. » « Elle tient ça de ses parents », indique l'ancienne joueuse britannique Naomi Cavaday, qui s'est occupée de l'adolescente lorsqu'elle avait 14 ans.
Née à Toronto, avant de déménager à Londres à deux ans, d'une mère chinoise, Renee, et d'un père roumain, Ian, qui travaillent dans le secteur de la finance, Raducanu reçut une éducation stricte, axée sur l'effort sportif - équitation, natation, basketball, karting, motocross et, bien sûr, tennis - et la valeur du travail. « L'état d'esprit des parents c'est : ''Il y a toujours du boulot'', confirme Dehaes. Leur fille est faite du même bois. »« Sa mère ne l'autorise pas à être négative ou à avoir une mauvaise attitude sur le court, détaille Cavaday. Je ne l'ai jamais vue jeter une raquette. » Sa première, elle l'attrapa à cinq ans, à la Bromley Tennis Academy, avant d'être repérée par la Fédération anglaise.
« C'est ça qui est unique avec Emma : il n'y a jamais de retour en arrière. Quand quelque chose est assimilé, il l'est définitivement
Naomi Cavaday, qui l'entraînait quand elle avait 14 ans
Rapidement, Raducanu, cornaquée par un paternel dont la philosophie est de changer régulièrement d'entraîneur pour offrir un regard neuf à sa fille, développa une capacité d'apprentissage hors du commun. « C'est comme si elle allumait un bouton et qu'elle emmagasinait tout », image Cavaday, qui n'avait pas intérêt à avoir la tête ailleurs, « même une seconde : à tout moment elle pouvait se retourner et demander des informations sur le coup qu'elle venait de frapper. Tu avais intérêt à être capable de bien répondre ! Parfois, la discussion pouvait durer cinq minutes. Je n'avais jamais vu ça. »
Et pas besoin de lui dire deux fois la même chose. « On avait passé deux séances à travailler un élément technique, raconte l'ex-174e mondiale. Sur une frappe, elle trouve le truc. Elle me demande si j'ai filmé. Je dis oui. ''O.K., on passe à autre chose.'' - ''Tu ne veux pas faire quelques répétitions au panier ?'' - ''Pas besoin, je viens de le faire une fois. C'était parfait, non ?'' C'est ça qui est unique avec Emma : il n'y a jamais de retour en arrière. Quand quelque chose est assimilé, il l'est définitivement. »
Contre la Canadienne Leylah Fernandez (19 ans), Emma Raducanu (18 ans) a remporté samedi la finale des teenagers. (Robert Deutsch/USA Today Sports/Presse Sports)
Contre la Canadienne Leylah Fernandez (19 ans), Emma Raducanu (18 ans) a remporté samedi la finale des teenagers. (Robert Deutsch/USA Today Sports/Presse Sports)
Début 2020, au retour d'un tournoi où il avait noté que son coup droit « ne sortait pas du tout de sa raquette », Dehaes, après lui avoir montré une compilation vidéo d'une trentaine de coups droits ratés en match, proposa à Raducanu de changer de prise. « Elle a réfléchi quinze secondes puis m'a dit : ''On y va'', se souvient-il. Je ne lui ai pas imposé une nouvelle prise, je voulais qu'elle la trouve elle-même. Au tennis, changer de prise, c'est ce qu'il y a de plus dur techniquement. J'avais tablé sur six à huit semaines d'entraînement. Le premier matin, elle a cherché. L'après-midi, c'était déjà mieux. Le lendemain, elle avait trouvé. Quinze jours plus tard, c'était fixé. »
« Elle a ce truc en plus : elle s'entraîne comme elle joue et elle joue comme elle s'entraîne. En match, elle a les mêmes attitudes qu'à l'entraînement.
Philippe Dehaes, qui l'entraînait début 2020
Cette faculté d'apprentissage ne se limite pas aux entraînements. À 14 ans, au lendemain d'une défaite au premier tour d'un petit tournoi ITF, Raducanu lança à Cavaday : « J'ai perdu mais j'ai compris. Je n'avais pas réalisé qu'on pouvait frapper aussi fort... Je sais ce qu'il me reste à faire. » La semaine suivante, elle remportait un 10 000 dollars. Victime de difficultés respiratoires, prise de vertige et contrainte d'abandonner en huitièmes de finale à Wimbledon en juillet dernier, Raducanu avait été « rattrapée par l'enjeu ». « Comme pour tout le reste, elle a analysé, elle a compris ce qu'elle devait faire pour que ça ne se reproduise pas et, à peine deux mois plus tard, regardez comme elle se comporte à l'US Open, glisse Cavaday. Elle se développe à une vitesse hallucinante. »
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« Mentalement, elle a été meilleure que toutes les pros, admire Dehaes. Elle a ce truc en plus : elle s'entraîne comme elle joue et elle joue comme elle s'entraîne. En match, elle a les mêmes attitudes qu'à l'entraînement. Elle n'est pas plus tendue, pas plus hésitante. C'est monstrueux. »
Le 25 août, quelques minutes avant son premier tour de qualifications contre Bibiane Schoofs à New York, Emma Raducanu égara ses écouteurs. Juste avant d'entrer sur le court, celle qui avait réservé un vol retour vers l'Angleterre dès le week-end suivant, murmura : « Si je gagne ce match, je pourrai m'en racheter. » Trois semaines plus tard, la Britannique recevait un chèque de 2,5 millions de dollars, symbole d'une ascension foudroyante.